Karen Bouwer, Professeur de Littérature française à l'Université de San Francisco, a lu Les Mystères de Kinshasa et en a fait une recension parue dans la revue Nouvelles Etudes Francophones. Elle nous a autorisé à reproduire son texte sur ce blog. Bonne lecture.
Nouvelles Études Francophones, Volume 26, Numéro 1, Printemps 2011, pp. 198-203 (Review)
Mpembi Nkosi, Magloire. Les Mystères de Kinshasa. Kinshasa: MM Éditions, 2010. ISBN 9781453716687. 206 p.
Que ce livre soit imprégné de l'actualité congolaise est évident d'emblée: il est dédié "À la mémoire de Floribert Chebeya, la Voix des sans-Voix trop tôt [End Page 199]éteinte," le journaliste disparu le 1er juin dont le corps a été retrouvé le lendemain. Si la dédicace plonge le lecteur dans l'actualité, dans son avertissement, l'auteur signale qu'il joue avec les conventions des fictions situées dans des contextes historiquement et géographiquement identifiables. D'abord, il affirme qu'il ne fait allégeance à aucun groupement politique, mais avoue par la suite s'accorder avec le lecteur qui lui dirait à juste titre que sa neutralité affichée ne transparaît pas dans le récit. Plus tard il ajoute: "Le lecteur devra se rappeler que malgré les apparences, ce qui est décrit ici est une fiction." La phrase suivante confond: "Rien n'est plus faux!" Cette approche ludique est finalement du très grand sérieux: l'auteur la déploie afin de mieux insister sur une histoire douloureuse qui n'arrête pas d'empoisonner le présent du pays. L'intrigue se déroule sur plusieurs décennies: les "Parenthèses de sang" (pour invoquer le titre évocateur d'une pièce de Sony Labou Tansi) commencent avec des chrétiens abattus lorsqu'ils marchèrent le 16 février 1992 pour réclamer la réouverture de la Conférence nationale souveraine et se terminent avec les affrontements entre les troupes de Joseph Kabila et de Jean-Pierre Bemba (pas nommés dans le texte) en 2006. Finalement, l'intrigue reste assez mince mais le livre s'avère une source très précieuse sur un bon nombre d'évènements et de politiques coloniales et postcoloniales. Par exemple, on apprend que les colonisateurs privilégiaient certaines ethnies, les Baluba et les Bakongo entre autres, car ils voyaient chez eux "une certaine prédisposition aux études" (38). Alors, le Mouvement populaire de la révolution (MPR) de Mobutu a mis en place un système appelé "équilibre national" pour empêcher les ethnies favorisées par les autorités coloniales de détenir le monopole dans certains domaines (38). D'autres exemples servent à dénoncer des pratiques abusives ou à faire valoir le rôle des femmes. Ntumba, dont le mari est mort, "eut le droit au traitement réservé aux veuves par les citadins déracinés et acculturés de Kinshasa, sous le faux prétexte du respect de la culture africaine. Il s'agissait plutôt d'un déferlement de sadisme" (49). Une étudiante à l'Institut supérieur de commerce fait un mémoire dans lequel elle voudrait montrer dans un premier temps que "les théories de Keynes étaient intuitivement appliquées par les Zaïroises" (82). Cette innovation accorde aux femmes le rôle qui leur est dû (au moins, à partir des années quatre-vingt-dix), celui des vrais chefs de ménage (83). Figurent aussi dans le récit les Kadogos, des victimes du SIDA, l'influence des Églises du réveil, la sorcellerie. Portrait romancé de Kinshasa et de la société congolaise aussi bien que des trente dernières années d'histoire congolaise. L'auteur, s'il se met par moments à expliquer des choses dans un registre journalistique, permet le plus souvent aux lecteurs de découvrir les phénomènes ou les évènements tels qu'ils sont vécus par les personnages. Satisfaisante lecture pour ceux qui sont avides de détails sur Kin-la-belle et son histoire; pour d'autres, l'intrigue et les personnages serviront un peu trop de[End Page 200] prétexte à un besoin de dire les frustrations d'une population qui en a marre de pâtir. (Une petite note sur la maison d'édition, selon leur site: "MM Éditionsest un projet éditorial sans but lucratif. C'est une possibilité offerte à de jeunes auteurs de voir leurs ouvrages mis à la disposition d'un plus grand public. Un intérêt particulier est accordé aux productions venant ou parlant de l'Afrique.")